Poème du mois Pour Enora : « Rythmes, lumière, espace… »
Rythmes, lumière, espace… *
(*Pour Enora d’après un poème de Dominique Le Buhan)
Rythmes, lumière, espace,
moments que ton regard n’a pas su saisir
autrement que par le souvenir,
verdures,
et tout cet empire des choses encore indiscernables,
laissées chaque instant à elles-mêmes,
mais que ta lucidité n’ignore plus.
Rythme, lumières, espaces,
épiés et saisis dans ces jours mêmes, ici et ailleurs, que peut être tu as vécu ou que tu aurais dû vivre,
terminés valse d’écrans,
– la tige… la fleur… -,
de fenêtres entre ouvertes dans la lumière perdue retrouvée,
tracés en silence,
avec, comme trainées d’écume sur le sable,
ton indicible peine,
l’appel de pas disparus,
de méditatifs temps d’arrêt :
une durée qui est attente ouverte (ou recluse, cela a toujours dépendu de toi), et l’évidence de ce qui advient entre amour et mort, entre la parole ancienne et ton inquiétant bavardage ; à l’écoute de l’horizon de ce lent ressac timide où ta perception vibre, habite et joue, retourne, à même le toucher de l’œil, de la main, du doigt, d’une langue enfantine oubliée redécouverte sur ta toile, sur ton cadre, dans le travail de la matière ; – lieu inabordé où se recompose et se transpose ce qui a été vu une fois pour toujours : un champ de jonquille, des feux sur la campagne enneigée, les feuilles mortes foulées des sous-bois, des roses cachées dans la brume qui s’élève sur les montagnes en traits de vapeurs grises, la pluie infiniment sonore sur la terrasse du village
où seul perce le chant d’un oiseau,
– ces tropismes géométriques –,
où se prononce et s’énonce ce qui n’a pas été dit,
et où soudain ton frêle espoir se joint à la saison nouvelle.
Autre tu es parmi ces transparences,
Autre cet an que ceux qui furent de clarté.
Il est dans tout ce vert un jaune d’alliance – quand insiste la chaleur d’été – la mousse sur la pierre du muret, les cèpes, évanouis maintenant, au pied des arbres dans la futaie, le vallon devant la maison où surgit un éventail déplié de multiples fleurs roses, blanches, jaunes ou rouges, un coin de ciel bleu sur le plateau à travers les frondaisons sauvages ; ta violence, menacée, ô Nature, tes forêts, leur mystère, où seul en ton écoute s’ébruitent tous les chants ;
saisons plusieurs en la même saison.
Rythme, lumière, espaces,
imbriqués dans ton regard,
recomposés en un agencement de filtres,
transportant chacun leur propre « époque », leur propre température, leur propre éclairage ;
objets ronds ou rectangulaires, formes du songe,
matière huileuse ou granuleuse, épaisse, sans nom,
de la mélancolie fuyante, de l’été, de l’automne, de l’hiver…
tuilés en perspectives étoilées, dissociées, à distance,
mais toujours comme collés à la boue du sous-bois tapissé d’aiguilles de pins, à l’odeur humide de la mousse sous la neige fondante, à ton visage évanoui dans l’ombre d’un feu lointain, et à d’invisibles cristaux encore en formation dans cette mer de nuages, retenus, suspendus, bientôt prêts à déferler, à fondre sur la terre, comme ces souvenirs sédimentés, effacés, et parfois mis à jour, sous les pierres du chemin, en couleurs, dans la lumière.