Julien MARCLAND | Un jour neuf.
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Un jour neuf.

Roman d’une génération plongée dans l’arrogance et l’incertitude, « Un jour neuf » est un récit concis sur le temps qui passe, sur la perte et la disparition des êtres, et la reconquête de leur propre dignité. A paraître…

 

Extrait :

(…)

Le jour où nous saurons véritablement poser des questions, il y aura dialogue, pour le moment, les questions que nous posons nous éloignent vertigineusement des réponses, ou peut être faisons nous semblant de poser des questions sans vouloir les réponses, posons des questions pour la forme en introduction sans avoir le courage de soutenir dans la durée ces interrogations. Quelle épiphanie pouvions nous espérer si nous étions entrain de nous noyer dans la plus fausse des libertés, la dialectique judéo chrétienne, le capitalisme ou la mort ?… Il était loin de ces considérations bien que ces dernières constituent la toile de fond en quelque sorte de cette dernière scène, peut être que pour toutes les œuvres humaines, s’il existait un motif unique ce pourrait bien être la vengeance, cela même n’affleurait pas à la surface de son cerveau bien que cette dernière pensée guida ces pas ; une vengeance contre lui-même, une vengeance contre la race toute entière de bâtards à laquelle il appartenait qui se permettait tant d’injustices au nom du bon goût et de la bienséance de traditions désuètes, façon de faire comme il faut, conventions sociales visant l’intégration plus grande dans le groupe, mais ignorant la beauté intrinsèque des figures que le mouvement transforme, la fine fleur de la singularité jamais achevée, dégoutante et détestable à vouloir à tout prix se trouver elle-même, comme des porcs se vautrant dans leur fange « celtique », « napoléonienne » ou « aztèque »… peu importait.

Tout allait revenir dans l’ordre. Il marchait sur l’asphalte avec sa démarche traditionnelle, pressé comme un parisien, vouté un peu, la tête penchée vers la droite, les mains dans les poches de son manteau d’hiver en été. Il faisait bon, il ralentit le pas. C’était bien tout çà, bonjour et au revoir, au revoir et bonjour, dans un sourire, la douceur de l’été commençant, la tranquillité des jours paisibles à venir, les vacances, l’Amérique où était partit J sans donner de nouvelles, les diamants et la poudre de Madagascar, il allait se perdre dans ce trou de chiottes, se fondre à ses selles maternelles et maritimes, dans ce minuscule maelstrom… La vie allait elle vraiment lui échapper ? Qu’est ce qu’il avait en tête ? Qu’est ce que cette voix lui disait, lui vendait, de si convaincant, mieux que Madagascar ou la Côte d’azur ? C’est peut être à ce moment là que le véritable rêve lui apparut, assis sur le ponton, avalant quelques pilules et prenant une nouvelle pointe de cette poudre magique en buvant une bière et en fumant une cigarette, il sut alors que le salon donnait sur un jardin, qu’il était à présent à Madagascar, non plus aux Lecques, sur la pointe dont lui avait parlé F, à l’extrême nord de l’île, qui tombait, rocailleuse, vertigineuse, dans la mer d’émeraude, il se savait, se voyait entrain de penser cela, sa vie éveillée était pure imagination à côté de la solidité du salon de la rue de l’Odéon où il se trouvait à présent avec son père dans le canapé confortable, enlacés en regardant une émission de télévision, sa mère pas loin, sa grande sœur, son petit frère…, il sut alors que le vrai lieu sur était ce salon au plafond bas, aux odeurs de moquette un peu poussiéreuse, de bois vernis de vieux parquet, et sut peut être un instant d’où il venait, ce qui comptait donc pour lui – c’était donc cela -, bonjour et au revoir, il essaya dans un mouvement violent intérieur de se sortir un moment de l’aura de cette « illusion » dérangeante un instant, avant de perdre connaissance.

Il bascula à la renverse du ponton de travers dans l’eau fraiche de la rade. Dans ce jeu de tarot lui était apparut la mauvaise carte, l’icône sortait de son cadre et entrait dans l’image maintenant, dans la nuit de la nuit.

C’est au moment où il tomba dans l’eau qu’il se réveilla. C’était trop tard, le poids des anxiolytiques était à présent trop fort, il ne s’était pas loupé cette fois, et l’impulsion qu’il ressentit dans l’épaule gauche de se rattraper au bois du ponton cette fois fut stoppée net par la surdose des produits et un début de coma nébuleux. Quelques minutes plus tard, il se remplissait d’eau, avait un dernier sursaut de vie encore, car le corps ne se laisse pas faire comme cela comme on sait, puisqu’il est fait tout entier pour la vie, battait des ailes, expulsait l’eau de ses poumons à deux reprises, puis s’affaissait de nouveau, s’emplissait d’eau salée de nouveau, et la porte se refermait doucement, un no man’s land en suscitant un autre, cette fois ci plus profond et plus sombre, rêve merveilleux, paradis fœtal, expulsant la vie, le rêveur à l’intérieur du rêve, souvenir, oubli, trempé de larmes salées enfin à présent, l’oubli condamnable de l’éden, de la sueur au front, des congés payés ; c’était bien cette fois ci le dernier jour de l’an, l’été n’aurait pas lieu dans cette première nuit de fiançailles nocturnes emportée par la moire liquide lumineuse et iridescente. Il s’était trompé, avait été floué par un rêve. L’odeur du jasmin et de l’iode se mêlait dans le salon vide à présent et on ne sut quelle parole il murmura du bout des lèvres engourdies et trempées en entrant dans la nuit.

 

New York City, le 7 janvier 2016.